Suisse-UE: comment sortir de l’impasse ?

Arnaud Midez
Arnaud Midez
8 December 2022 Temps de lecture: 5 minutes
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Helvetia Event Lausanne
Après Zürich, Lucerne et Bâle, la série de grands débats sur l’Europe de l’Alliance ouverte+souveraine s’est clôturée en Suisse romande avec une soirée exceptionnelle le 1er décembre à la Fondation ISREC de Lausanne. Pas moins d’une dizaine d’invités venus des quatre coins de la Suisse romande et de tous les horizons – politique, scientifique, académique et du monde de l’entreprise – ont débattu d’Europe. Au fil de trois tables rondes modérées par le présentateur vedette de la RTS Alexis Favre, les participants ont pu discuter des conséquences de l’érosion de la voie bilatérale et nous éclairer sur la problématique liée à l’absence d’accord sur l’électricité avec l’Union européenne. Le dernier panel a laissé quant à lui place à une discussion entre élus fédéraux, de droite comme de gauche, sur les intentions de partis en vue des élections fédérales de l’année prochaine.

Programme riche pour une soirée d’exception, trente ans après le refus des Suisses d’adhérer à l’Espace Economique Européen! Jeunes et moins jeunes étaient venus en nombre pour assister à une des (trop) rares manifestations qui parle l’Europe et du futur des relations Suisse-UE.

L’attentisme ne profite ni à la Suisse, ni à l’UE

La soirée a commencé par un plaidoyer pour des relations constructives avec notre partenaire économique. Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse a en effet dressé un panorama des conséquences très concrètes au niveau économique 18 mois après l’interruption par le Conseil fédéral, et de manière unilatérale, des négociations sur l’accord-cadre. De la bouche de la principale faîtière des entreprises suisses, nous assistons à une perte progressive de l’accès facilité au marché de notre principal partenaire commercial. «Il s’agit d’une lame de fond, dont nos concitoyens ne se rendent pas compte mais qui est bien réelle. Certains milieux en font déjà les frais. L’industrie des technologies médicales est pénalisée par la non mise à jour de l’accord sur les obstacles techniques au commerce» explique Mme Gaggini. Dans ce secteur très important en Suisse romande, certaines sociétés ont dû se résoudre à développer leurs affaires dans un Etat membre de l’UE. Rappelant que le temps de l’économie n’est pas celui du politique, la faîtière en appelle à des négociations avec l’UE le plus rapidement possible. Les entreprises ne peuvent attendre plus longtemps. Elles doivent déjà composer avec d’autres facteurs d’incertitude majeurs, tels que les prix de l’énergie, les difficultés d’approvisionnement et la pénurie de main-d’œuvre. L’attentisme ne profite ni à notre pays ni à l’UE. Ces propos ont fait écho à ceux de la Conseillère d’Etat du canton de Vaud Isabelle Moret. Dans un discours très engagé, la cheffe du département de l’économie a mis en lumière les conséquences très concrètes pour le tissu économique vaudois qui compte un grand nombre de start-up exportatrices à la pointe de l’innovation. Madame Moret en en outre rappelé l’engagement de son canton et des cantons en général dans la recherche de solutions. Certains d’entre eux sont aux avant-postes en matière de coopération transfrontalière avec nos voisins européens.

Une érosion de la voie bilatérale, lente, sournoise mais certaine

Ce n’est ni Astrid Epiney, ni Luciana Vaccaro, respectivement rectrice de l’Université de Fribourg et rectrice de la Haute Ecole de Suisse Occidentale, qui allaient contredire ce triste état des lieux. Les deux rectrices ont notamment évoqué la situation dramatique que la recherche suisse est en train de vivre. En raison de la non-association de la Suisse au programme cadre européen de recherche Horizon Europe, les Universités et EPF suisses perdent en excellence et en attractivité auprès des meilleurs talents. Le blocage actuel du dossier européen au niveau politique met donc à mal notre place scientifique et ruine des décennies de travail qui ont permis à notre pays d’atteindre la tête des classements internationaux en matière de recherche et d’innovation. De cette situation dans le domaine de la recherche en dépendent les emplois du futur et majoritairement des emplois hautement qualifiés. Grégoire Ribordy, chef d’une start-up genevoise leader dans la technologie quantique est venu corroborer ce sombre constat. Son entreprise a en effet dû se résigner à ouvrir une nouvelle branche à Vienne (plutôt qu’à Genève) pour accéder au programme européen Digital Europe. Autant d’emplois d’avenir créés à l’étranger et pas en Suisse! Sans déblocage du dossier européen, beaucoup d’autres entreprises pourraient être contraintes à faire de même. M. Cordonier responsable romand chez Swissmem a par ailleurs mis en garde sur les risques liés à la révision de la directive européenne sur les machines. Sans mise à jour de l’accord sur les obstacles techniques au commerce, les MEM qui constituent le deuxième secteur d’exportations vers l’UE, risquent de connaître dans les années à venir le même sort que les entreprises medtech.

L’Europe, centrale pour la sécurité d’approvisionnement de la Suisse

Lors du panel sur l’électricité, Davide Orifici (Director Public & Regulatory Affairs and Communications chez EPEX SPOT) a déclaré qu’il fallait absolument que les négociations se poursuivent et qu’il était « urgent de fixer un mandat de négociations ». Selon Monsieur Orifici, la Suisse avec l’UE fait partie de la même communauté d’intérêts. Mauro Salvadori, Head of Public Affairs chez Alpiq a quant à lui relevé qu’ils n’étaient pas suffisamment entendus à Berne, et qu’en l’état, on pouvait considérer qu’on jouait avec la sécurité d’approvisionnement de la Suisse. L’Europe est en effet centrale sur cette question. De par sa position géographique la Suisse est une plaque tournante de l’électricité sur le continent. Mais paradoxalement, faute d’accord bilatéral avec l’UE sur cette question, elle est exclue du marché européen de l’électricité. Raison pour laquelle il faut mettre selon lui les « bouchées doubles » pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la politique européenne de la Suisse. Maurice Dierick Head of Market chez Swissgrid a pour sa part apporté un éclairage fort intéressant sur les conséquences de la non-participation de la Suisse au marché intérieur de l’électricité et la forte dimension politique de ce dossier au niveau européen en faisant référence notamment au Clean energy for all Europeans package adopté par la Commission européenne en 2019.

Besoin d’un narratif et d’un «explicatif» sur le dossier européen

Enfin, lors du panel politique, les discussions ont mis en lumière les contradictions du Parti socialiste entre une frange qui souhaite l’adhésion à l’UE et l’intransigeance du président de l’USS Pierre-Yves Maillard, et qui selon des informations ayant pu filtrer ici et là, empêcherait tout avancée sur le dossier européen. La Conseillère aux Etats fribourgeoise Isabelle Chassot du Centre a quant à elle relevé que les cantons avaient aussi un rôle à jouer dans ce dossier et qu’ils devraient faire davantage entendre leur voix. De ce panel qui réunissait Damien Cottier (conseiller national neuchâtelois et Président du Groupe Libéral-Radical), Roger Nordmann (conseiller national vaudois et Président du groupe PS), François Pointet (conseiller national vaudois Vert’libéral) et Mme Isabelle Chassot – en est ressorti le besoin d’un narratif et d’un «explicatif» sur cet épineux dossier. Objectif: mieux faire comprendre à tous les citoyens de ce pays, l’impérieuse nécessité d’entretenir des relations constructives avec l’Europe. C’est ce que à quoi l’alliance «Pour une Suisse ouverte et souveraine» s’engage et continuera à faire dans les mois et années à venir. Nous avons en effet besoin, plus que jamais, d’Europe !

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